De 1983 à 1997, Éric Cantona aura sillonné les pelouses françaises et d’outre-Manche. Imprévisible, charismatique, instinctif, inspiré, « The King » est considéré comme l’un des meilleurs attaquants de son époque et compte parmi les plus grandes stars de l’histoire de la Premier League.

Né le 24 mai 1966 à Marseille, de parents aux origines sardes, italiennes et catalanes, il grandit dans le quartier des Caillols (12ème arrondissement de Marseille), dans une atmosphère mi-village, mi-HLM. Il commencera le football tôt, vers l’âge de six ans, d’abord en tant que gardien, puis quelques temps après comme attaquant. Tout jeune déjà, Cantona avait le goût du challenge et l’envie de faire la différence. Il se montrera, dès ses premiers matchs face aux autres petits clubs, décisif pour son équipe.

Il sera repéré à l’adolescence par un adjoint de Guy Roux, puis par Guy Roux lui-même. Bien que né à Marseille, Cantona n’y commencera pas sa carrière. Après avoir visé l’AS Monaco ou l’OGC Nice, c’est finalement à Auxerre, auprès de l’entraîneur, qu’il commencera à faire ses armes dans le football professionnel.

« Quel tempérament! Il fallait le tenir dans des limites acceptables tout en sachant comment le prendre. Si vous lui disiez, “Je te préviens, je vais te faire marcher au pas” , au bout d’une semaine c’était le clash assuré. Je l’ai quand même eu sept ans avec moi. »

– Guy Roux

Quand il arrive à Auxerre en 1981, Cantona n’a que quinze ans, mais se montre déjà déterminé. Très à l’aise sur le terrain, audacieux, il réalisera dès l’année suivante sa première apparition sous le maillot de l’équipe de France des moins de 17 ans, face à la Suisse. Ce sera sur un de ses buts décisifs que les Bleus décrocheront la victoire. L’année d’après, il commencera sa véritable carrière professionnelle en première division. Le jeune Marseillais au caractère bien trempé est prêt.

« Lui, les injustices, il ne les acceptait pas. »

– Lucienne, sa grand-mère

Au début de la saison 1985-1986, Cantona manque de peu de devenir titulaire, ne pouvant faire complètement ses preuves suite à une infection virale. Guy Roux, qui croit pourtant en ses capacités, le prêtera au FC Martigues. Mais, loin de celui qui sera quasiment le seul entraîneur français à comprendre sa nature, le Marseillais ne sera pas aussi discipliné sur le terrain et se fera expulser à deux reprises. Il retournera ensuite à Auxerre, ce club pour lequel il conservera toujours beaucoup d’affection.

« Quand on doute de moi, je deviens bon. »

– Éric Cantona

À la fin de la saison 1988, après son titre de champion d’Europe espoir et malgré des premières frasques qui marqueront le milieu du football (tâcles assassins, bras d’honneur au public, clash avec Henri Michel alors sélectionneur des Bleus), de nombreux clubs français espèrent s’attacher ses services : l’AS Monaco, l’Olympique de Marseille, ou encore le PSG. Cantona choisit de revenir dans sa ville natale et donne son accord à l’OM de Bernard Tapie, signant pour l’époque le plus gros transfert de l’histoire du football, avec un montant de 22 millions de francs. Il n’a alors que 23 ans, mais laisse déjà une empreinte sans précédent sur sa discipline.

Cette arrivée dans un nouveau club ne sera pourtant que le début d’une série de ballotages par un football français qui le veut pour son talent, mais qui refuse son émotivité et ses coups de sang. Après avoir jeté son maillot au sol lors d’un match, Cantona sera prêté aux Girondins de Bordeaux, puis à Montpellier avec qui il remportera la Coupe de France, avant de revenir porter le maillot azur et blanc. Il n’y finira cependant pas son épopée française, puisqu’il signera à Nîmes. Une fois de plus, l’aventure ne sera pas rose. Malgré une sélection en équipe de France, où il brillera face à la Tchécoslovaquie aux côtés de Jean-Pierre Papin, sous la houlette de Michel Platini, Nîmes ne lui concèdera pas ses écarts et il subira une suspension de deux mois après un énième clash en dedans et en dehors du terrain. Cantona n’a que 25 ans, mais, déjà harassé, étreignant son besoin de liberté, il annonce sa première retraite sportive.

« Ce que j’ai fait, je l’ai fait pour moi, certaines fois. J’en avais besoin. Et je l’ai fait aussi pour l’équipe. Quand je sentais que ça n’allait pas […] J’ai peut-être un truc instinctif. Je sens quand on a besoin de quelque chose. C’est un sport collectif. On a besoin, à un moment donné, d’un leader, ou de quelque chose qui fait qu’on a un choc psychologique. Pas obligatoirement le changement d’entraîneur, ou des trucs comme ça. Une bagarre sur un terrain… À partir de ce jour-là, avec Montpellier, on a gagné beaucoup de matchs. On a gagné la Coupe de France. Et je pense que c’est des moments comme ça qui font avancer. Peut-être qu’il y en a, à un moment, qui se séparent, y’en a qui se regroupent. Si on a envie de faire quelque chose ensemble, soit on en a envie, soit pas. Mais c’est au pied du mur qu’on voit les gens qui ont vraiment envie de faire les choses. On voit les hommes. »

– Éric Cantona

Michel Platini, de son côté, ne l’abandonne pas. Tout comme Guy Roux avant lui, il a compris ce qui anime profondément le joueur. Cantona ne court pas nécessairement après la gloire, il aime profondément jouer. Et il le fait autant avec le coeur qu’avec les jambes. Il convaincra le Marseillais de sortir de sa retraite pour aller jouer outre-Manche. Il rejoindra ainsi le club de Sheffield Wednesday. Si son passage y est de courte durée, car le club tarde à lui proposer un véritable contrat, son épopée britannique ne fait pourtant que débuter. Lassé d’attendre, il accepte une offre ferme du Leeds United, où le dirigeant, convaincu par Michel Platini, l’accueille ainsi en février 1992.

« C’est un jeu beaucoup plus engagé, mais moins vicieux. »

– Éric Cantona

Cet exil inattendu au pays de Big Ben et des bus à étage agira comme un vent de fraîcheur pour l’attaquant, qui commencera à se sentir, enfin, compris et accepté pour ce qu’il est. Physique et direct, tout de blanc vêtu, grand en taille et en talent sur le terrain, Cantona retrouve l’euphorie de jouer et ne boude pas son plaisir. Les supporters, séduits dès ses premiers matchs, se prennent de passion pour le Français. Il fera ensuite définitivement chavirer les coeurs des fans lorsqu’il mènera son équipe au titre de champion d’Angleterre, le premier en 18 ans. C’est à ce moment-là, ne parlant quasiment pas un mot d’anglais, qu’il prononcera sa célèbre phrase « I love you. I don’t know why, but I love you » . La « Cantomania » , délirante, commence, et sa destinée anglaise, déjà brillante, est sur le point de prendre un dernier tournant.

Neuf mois après ses débuts à Leeds, c’est lors d’un appel entre son manager Howard Wilkinson, et Alex Ferguson, celui de Manchester United, au sujet de l’achat de Denis Irwin, que Cantona, qui n’était pas une priorité pour les Red Devils, va devenir une belle opportunité.

« Au cours de la conversation, le nom de Cantona est sorti. On s’est dit que c’était peut-être le bon choix. »

– Alex Ferguson

« Je ne pouvais pas imaginer que ça aboutirait. Pas plus qu’Alex je pense. Mais probablement qu’en une heure, l’accord était conclu. »

– Howard Wilkinson 

Le Marseillais rejoint officiellement Manchester United le 26 novembre 1992. Sur les images filmées lors de la cérémonie dans l’enceinte du stade Old Trafford, alors en reconstruction, on le voit maillot en mains aux côtés de son nouvel entraîneur, souriant timidement aux photographe venus immortaliser la scène.

Le porteur du numéro 7 trouvera vite sa place dans à Manchester, en prenant en main la destiné de l’équipe. Leader, buteur, sauveur, indispensable catalyseur dans l’éclosion d’une jeune génération de Red Devils. Cantona, incompris en France, devient l’attraction permanente d’une Premier League naissante.

« Éric est arrivé comme la dernière pièce du puzzle. Il a permis à la mayonnaise de prendre, grâce à son « flair », grâce à ses débuts et à son charisme sur le terrain. »

– Ryan Giggs, milieu de terrain à Manchester de 1991 à 2014.

Avec les Diables Rouges, celui que l’on surnomme désormais « King Éric » ou « The King » , poussera ses capacité au maximum. Il sera d’ailleurs élu à la quasi-unanimité par ses pairs, le 10 avril 1994 à Londres, meilleur joueur de Premier League de la saison. Un honneur ultime, après un peu plus de deux ans et trois titres de champions en Angleterre. Le roi a enfin trouvé le championnat, l’équipe et l’entraîneur qui lui conviennent.

« Qu’est-ce que j’irai faire ailleurs ? La monnaie ? Je n’en ai pas besoin […] j’ai soif d’émotions, et ça, ça n’a pas de prix. »

– Éric Cantona 

L’année suivante, pourtant, le King défraiera la chronique et manquera de peu le point de rupture avec le Manchester United, pourtant devenu si cher à son coeur. Lors d’un match au Crystal Palace, Cantona, expulsé pour une faute, donne un coup de pied à un spectateur lui ayant lancé des insultes xénophobes. Certains de ses détracteurs y voient un énième coup de sang, mais ses fans, eux, y voient l’expression d’un joueur entier qui ne fait que consolider sa légende. Cependant, l’acte ne passera pas auprès de la justice et de la fédération anglaise de football, qui le condamneront respectivement à deux semaines de prison ferme (avant que la peine soit commuée en 120 heures de travaux d’intérêt général en appel) et à une suspension de neuf mois, étendue internationalement avec la FIFA. Cette suspension l’éloignera de l’équipe de France d’Aimé Jacquet, qui en avait fait son capitaine et ne le rappellera plus chez les Bleus. Suite à cette « affaire Cantona » , il fera un retour triomphal sur les pelouses, 248 jours après son dernier match avec les Red Devils. Ce retour, un peu en dents de scie par la suite, se soldera malgré tout par un nouveau titre de champion pour les Mancuniens à la fin de la saison 1996-1997. 

En 1998, à trente ans, le King, épris d’une lassitude du milieu sportif, décide de jeter l’éponge et de mettre fin à sa carrière. Les médias, en Angleterre, en France, et ailleurs dans le monde, mettront la nouvelle à la une. Les fans quant à eux, profondément attachés au joueur, ne cesseront jamais de le célébrer. L’impact de Cantona fut si énorme outre-Manche qu’il arrive encore aujourd’hui que les supporters chantent la Marseillaise lors de ses passages à Old Trafford.

Après une courte pause, Éric Cantona se consacrera au beach-soccer, dont il fut l’ambassadeur en France. D’abord en tant que joueur, où il mènera son équipe au titre de champion mondial, puis en tant qu’entraîneur. Il ne quittera son poste qu’en 2010, et continuera d’embrasser sa carrière au cinéma et sur les planches des théâtres.

Le King savoure désormais sa sérénité. Plus tard, lors d’interviews, assagi, il s’exprimera sur cette image d’éternel rebelle face à l’ordre établi, qui lui a longtemps collé à la peau et qui a contribué à forger sa légende :

« Je ne conseillerai jamais à un joueur de vivre et de faire ce que j’ai fait, parce que c’est vraiment dur. C’est dur, j’ai souffert. Et j’y ai laissé des plumes. »

– Éric Cantona